Les délices de l'osmose

Le voilà qui trotte somptueusement entre les obstacles, sous l'injonction moelleuse de son cavalier. Il est calme, attentif, il semble inspecter avec son équipier bipède les difficultés à venir. Un arrêt, un crottin en prévision, le bipède a compris : debout sur ses étriers, il soulage le dos du cheval. Ah, ça, mais ils excrètent ensemble, on en aurait les larmes aux yeux ! Le public, en silence, respecte le cérémonial, le crottin, petit monticule sur le sable ne grandira plus, ils sont prêts.

Le président appuie sur sa petite sonnette, le couple prend le galop, les poteaux de départ franchis, ils accélèrent. Mais comment ? J'ai trouvé ! Ils accélèrent "ensemble", voilà, c'est cela ! C'est une épreuve de vitesse, il ne faut renverser aucune barre et tourner court, en quête du centième de seconde qui fera de ceux-ci les vainqueurs.

Comme tout a changé, moi qui suis ce sport - que dis-je, cet art - depuis des décennies. Il y a quelques années encore le cavalier ordonnait, le cheval, contraint, obéissait ; aujourd'hui, le cavalier suggère, le cheval comprend, devenu confiant, il adhère. Ah, la belle évolution !

Quelle chance vous avez, vous qui m'avez lu à temps, car ce soir au Trophée Gucci, qui réunit jusqu'à dimanche les meilleurs couples du monde, vous assisterez à une épreuve dite de vitesse dont je suis un des modestes instigateurs. Vous ne pouvez rater cela ! Que les célibataires le décident eux-mêmes, que dans les couples chacun persuade l'autre, c'est le seul sport qui respecte la parité : cavaliers et cavalières concourent dans les mêmes épreuves, voilà un bon atout pour persuader, si nécessaire.

Une histoire courte pour convaincre de cette merveilleuse évolution dont je fus le témoin au fil du temps, ces "capacités d'osmose" si nécessaires car déclencheuses d'harmonie. Kevin Staut notre numéro un, ex-numéro un mondial, avait quelques soucis avec sa merveilleuse jument Silvana, elle était crispée, tendue, lui-même, partageant l'état de sa jument, avait un peu perdu de cette fluidité qui a fait de lui un des meilleurs du monde.

Au bipède alors de réfléchir, à lui de trouver la solution, à lui de sentir chez Silvana la raison de cette tension, de cette inquiétude, plus forte, lui semble-t-il, à l'approche d'un obstacle qu'on ne trouve que dans les parcours d'extérieur. Le bipède a compris. Hors de question de se battre, hors de question d'imposer : Staut supprime ce genre d'épreuve dans le programme de Silvana, elle ne verra plus l'obstacle qu'elle appréhendait, le bipède Staut a "ressenti". La voilà bien, l'osmose !

Et, récemment, le couple gagnera le Grand Prix de Stuttgart : ils avaient l'air en promenade, elle et lui.

Je tiens pour possible que la découverte de cette osmose inter-espèces est plus importante, à l'avenir, que la découverte de l'énergie nucléaire !

Dans le beau film Jappeloup, qui sortira en mars, une jeune soigneuse explique, à la suite d'un échec de son patron champion, qu'il ne suffit pas d'être un grand cavalier, mais qu'il faut apprendre à aimer son cheval et qu'obtenir la réciproque peut ouvrir toutes les portes.

Devenons humbles puisque maintenant nous savons que les baleines taillent des bavettes de l'Atlantique au Pacifique. Et il nous resterait à résoudre le problème de l'élevage industriel, nous y arriverons ! En attendant, afin d'humer l'osmose, courrez au Trophée Gucci à Villepinte.

Jean Rochefort, homme de spectacle et éleveur de chevaux

 

Écrire commentaire

Commentaires: 1
  • #1

    Claude Laubez (jeudi, 22 novembre 2018 22:06)

    Suite ?